Dances With Google Glass

En juin 2013, Google a lancé un concours sur Twitter sollicitant des enchères de personnes intéressées par des essais bêta pour sa dernière incursion dans le domaine de la haute technologie portable. Puisque le terme testeur bêta nous évoque des visions de geeks barbus à capuche, l’œil collé leur écran Retina, un génie du marketing de chez Google a forgé le nouveau nom des Google Glass Explorers en mettant une photo d’un mannequin sensuel aux lèvres pulpeuses, cheveux ébouriffés, et une fine tige de titane sur le front, sur la page d’accueil des Google Glass.

 

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Le monde fut invité à soumettre leurs idées à Google, avec l’emploi du hashtag #IfIHadGlass (si j’avais des lunettes Google). Les gagnants devraient fournir $1,500 pour le privilège d’adhérer au club très exclusif des adeptes de la première heure, censés rendre tout le monde fou de jalousie.

Un an plus tard, plusieurs milliers de Google Glass Explorers se retrouvent à parcourir la Terre à murmurer “Ok, Glass” et à se tapoter la tempe vigoureusement. Et même si Google peut effectivement se féliciter d’avoir financé le développement de son dernier gadget entièrement grâce à la communauté, les données démographiques de son projet Explorer et les retours de sa stratégie marketing indiquent un échec singulier dans l’incapacité à engager l’imagination du public.

Les geeks à capuches dominent toujours le paysage des  Google Glass – pour autant qu’on puisse en juger à partir des discussions en ligne sur les forums des Explorers. (Ballet to the People pourrait être le seul Glass Explorer qui porte un tutu pour aller travailler). L’écrasante majorité des Explorers sont des hommes, et se partagent avidement leurs vidéos prises #throughGlass (à travers les lunettes Google) en sautant d’un avion, en surfant debout avec une rame, en conduisant un orchestre, et d’autres sports extrêmes. Ils mettent à l’épreuve la puissance de l’aide à la navigation lors de randonnées à travers les Andes, et forment des étudiants en médecine en diffusant en direct des procédures chirurgicales. Ils donnent des discours avec les lunettes Google comme téléprompteur, et surfent le web mains-libres en traversant la sécurité à l’aéroport.

Mais en dehors de la communauté Explorer, la curiosité quant aux possibilités transformatives de cet ordinateur petit mais puissant ont souvent donné lieu à l’indignation par rapport à une sensation de violation de la vie privée – particulièrement à San Francisco, où Google et d’autre entreprises de haute technologie sont devenus symboles de cupidité financière, les autobus luxuriants pour les employés  nous poussent vers un futur Orwellien. Les Google Glass ont été interdit dans un nombreux croissant de lieux de travail, dont des bars et des clubs de striptease, et les Glass Explorers ont signalé des abus verbaux et physiques. (Ballet to the People a été attaqué par un vigil au Centre Kennedy à Washington DC, lorsqu’elle photographiait une installation d’art. Tout autour d’elle, des touristes et mécènes étaient occupés à commettre un crime contre la vie privée avec leurs smartphones, mais l’équipement de haute technologie devant ses yeux l’a rendue Ennemi Public N°1).

Si Google avait restreint ses Explorers du test bêta à une petite quantité d’industries au sein desquelles les lunettes Google auraientt plus avoir le grand impact (la médecine, l’autonomisation des handicapés, le renforcement des lois, l’innovation sur le lieu de travail, le sport professionnel, et les arts scéniques viennent à l’esprit), ceci aurait pu éviter une majorité de médiatisation négative et mener le chemin vers un lancement commercial moins turbulent.

Google semble avoir réalisé ceci un peu tard dans le jeu : récemment, ils ont accordé des bourses à cinq associations non lucratives qui utiliseront les lunettes Google dans la sensibilisation de la communauté, et ont choisi cinq collaborateurs du développement technique qui s’en serviront pour innover le lieu de travail.

L’emploi récent d’un agent de marketing spécialisé dans la mode qui gérera le projet des  Google Glass dans les moments précédant son lancement commercial pourrait être une tentative de se libérer du côté geek, mais il est improbable que ceci étouffe l’hystérie qui voit les lunettes Google comme un accessoire d’espion.

Est-ce qu’il est important de savoir ce que pense les gens en regardant l’aspect un peu ringard des Google Glass ? Les entreprises et les gouvernements sont susceptibles d’accepter son power transformatif. Ils utiliseront les lunettes Google pour effectuer des inspections au travail, ou des examens et vérifications médico-légales. Ils s’en serviront pour développer la retransmission instantanée, pour diagnostiquer des maladies, pour suivre et désarmer des dispositifs explosifs. Même si les consommateurs commerciaux montrent une absence d’enthousiasme à l’idée de balancer des oiseaux en colère, ou des Angry Birds, à des porcs #throughGlass, la technologie représente toujours une affaire de plusieurs milliards de dollars pour Google.

Il est alors troublant de voir que l’entreprise a fait si peu pour s’adresser aux préoccupations concernant l’intrusion à la vie privée (à part interdire les logiciels de reconnaissance visuelle, et publier un livre d’étiquette des Google Glass, une démarche assez faible). Les théoriciens du complot s’en donnent à cœur de joie.

Mais ce serait manquer de vision de déclarer coupable une avancée technologique d’un malaise social qui se répand depuis que Al Gore ait inventé le World Wide Web, et depuis que les tablettes et smartphones soient devenus omniprésents. Interdire les Google Glass n’arrêtera pas les comportements effrayants, et cela n’empêchera pas non plus l’accumulation de données personnelles par les géants des médias sociaux et le NSA. Tant que les consommateurs demandent une liberté de contenu sur internet et la possibilité de s’exprimer librement en ligne (et en échange ils délivrent allègrement leurs données personnelles et leurs photos de mariage sur Instagram), ils ne peuvent pas se permettre de crier opposition chaque fois que quelqu’un invente un dispositif pour faciliter ces démarches.
Peut-être que l’énervement à propos des Google Glass provoquera enfin un glissement radical dans notre culture de la surveillance, avec des consommateurs qui pousseraient les entreprises technologiques à trouver des moyens innovants pour renforcer la société civile, avec des régulateurs qui soutiendraient vigoureusement les consommateurs.

Au cœur de cette tornade de controverse englobant les lunettes Google, Ballet to the People a rassemblé quatre des plus grands créateurs de danse à San Francisco pour expérimenter cette technologie.

 

Des techniques cinématographiques modernes ont donné l’appétit au visionneur de se retrouver dans le rôle de voyeur, permettant une superposition d’effets fantastiques qui sont impossibles dans le théâtre. Mais jusqu’ici, le danseur a toujours été l’objet du regard du spectateur.

Avec Google Glass, nous pouvons, pour la première fois, intégrer ce que voit la danseuse dans l’œuvre qu’elle produit. Nous pouvons envoyer des instructions via l’écrit ou l’audio à la danseuse via l’écran de prisme minuscule qu’elle porte sur le front. Nous pouvons lui envoyer de l’inspiration visuelle, ou délibérément briser sa concentration.

Au cœur du film expérimental révolutionnaire, intitulé Capture, Milissa Payne Bradley rend un hommage grinçant à l’œuvre russe classique et iconique Swan Lake, utilisant les lunettes Google comme un outil magique qui transforme des oiseaux marins en jeunes filles, bloqués sur la plage de Lands End à San Francisco.

Dexandro “D” Montalvo a collaboré avec son danseur, Babatunji Johnson, pour communiquer l’expérience de la danse depuis les yeux du danseur, et l’évolution du breakdance à partir de gestes qui implicitement démontrent l’identité sociale du danseur. Montalvo place son danseur dans la rue, contre une toile de fond qui est un mur du Mission District, un mur qu’un artiste graffeur réclame en tant que canevas pour sa propre expression personnelle.

Lauren Benjamin a travaillé avec le mouvement stylistique du House Dance, où la liberté, l’énergie positive et l’esprit joueur du mouvement lui évoquent les qualités qu’un enfant apporterait naturellement dans son exploration du monde. D’où le choix d’un décor reproduisant le contexte d’un terrain de jeu pour enfants, contrastant avec les boîtes de nuit graveleuses, nocturnes et souterraines qui ont été l’origine du House Dance.
Robert Dekkers joue avec la notion qu’on utilise la technologie pour cacher, fabriquer et projeter une image de nous-mêmes. Ses danseurs portent les lunettes Google pour signifier une révélation partielle (et dissimulation) du véritable soi-même.

Pendant que les ingénieurs continuent à améliorer les lunettes Google, pendant que les entreprises lui trouvent de plus en plus d’emplois ingénieux, et pendant que les compétiteurs commencent à développer d’autres dispositifs informatisés portables, Google peut se débarrasser de sa réputation de la Corée du Nord du monde technologique, et les lunettes Google gagneront l’acceptation tout comme la télévision a fait dans un monde précédemment dominé par la radio. Les danseurs et cinéastes de danse en particulier accueilleront les lunettes Google comme un instrument permettant d’accroître leur pouvoir de narration.

Carla Escoda
Ancienne danseuse, chercheuse scientifique et banquier responsable des investissements devenue professeur de ballet et bloggeuse d’art.

1 Comment

  1. Question,
    Le lunettes Google peuvent-elles être utilisées par un choeur avec les paroles qui défilent dans le lunettes pour leur éviter de lire leur partition ?

    Merci pour votre réponses
    Olivier

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